Cent et Un Mots par Jour

Cent et Un Mots par Jour

100e – Réussir un examen – Quelque chose ne semblait pas tout à fait normal (version longue)

Je me présentai à l'hôtesse largement en avance. Il me semblait impératif de démontrer mes motivations en arrivant très tôt. Malheureusement, je n'avais pas été le seul à caresser cette idée, et il y avait déjà deux personnes qui patientaient dans la petite salle d'attente. Elles levèrent à peine les yeux de leur magazine quand j'entrai. Je leur adressai un signe de tête et m'assis à mon tour.

En fait de salle d'attente, c'était juste une demi-douzaine de chaises au fond d'un couloir mal éclairé, que j'avais fini par trouver après avoir tourné plusieurs minutes dans le bâtiment. Pourtant, les instructions de l'hôtesse m'avaient paru claires, mais quand j'étais sorti de l'ascenseur au quatrième étage, c'était à peine si je savais ma droite de ma gauche. Un écriteau annonçant « Entretien » et sur lequel j'étais tombé par hasard m'avait indiqué que j'étais au bon endroit, même si personne n'était là pour m'accueillir.

Le building était ancien et sa façade décrépie. Je m'attendais à ce que l'état soit semblable à l'intérieur et avait été agréablement surpris par le design moderne et simple du bureau d'accueil. Mais quand j'avais atteint le quatrième étage, c'était comme si j'avais remonté le temps. Le plâtre des murs s'effritait, la moquette était terne, et certaines ampoules clignotaient de manière inquiétante.

La porte autour de laquelle étaient installées les chaises – la seule porte de tout le couloir – s'ouvrit et laissa passer un petit homme au cheveu rare et à grosses lunettes. Un film de sueur couvrait son front ridé, qu'il essuya d'un revers de main avant de saluer le premier candidat et de l'inviter à entrer. Son sourire dévoila des canines étrangement longues à la blancheur éclatante, qui me firent frissonner sans que je sache pourquoi. Le candidat, une jeune femme à la mine inquiète, pénétra dans la pièce, suivi de l'examinateur, et la porte se referma sur eux. Je frissonnai à nouveau.

Je comprenais parfaitement les angoisses de ma concurrente. Le poste était intéressant : un travail administratif avec de nombreux avantages et un salaire attractif, sans condition de diplôme. Dans l'état actuel du marché de l'emploi, c'était plus qu'une aubaine, c'était un miracle. Mais le recrutement ressemblait à un parcours d'obstacle. Test écrit, test oral, examen médical, et enfin un entretien pour lequel les candidats retenus avaient été préparés via des vidéos et des jeux de rôle avec des conseillers. L'épreuve, en plus d'être finale, était aussi particulièrement difficile. Je n'étais pas vraiment emballé par la perspective de la passer face à ce petit monsieur huileux.

L'homme en face de moi, une bonne quarantaine et le regard fatigué, jetait fréquemment un œil à sa montre, ce qui m'agaçait fortement. Mais que pouvais-je lui dire ? J'étais dans le même état de stress que lui ; j'étais juste plus habile que lui à le dissimuler. À ma droite, tout au bout du couloir, une fenêtre étroite s'ouvrait sur une cour sale et plongée dans l'ombre des hauts bâtiments qui l'entouraient. J'y vis un chat malingre pourchasser un rat aussi gros que lui, et tous deux disparaître derrière un tas d'ordures. Les sacs s'agitèrent violemment. Même si je ne pouvais entendre ce qui se passait, j'imaginais aisément les feulements du matou et les couinements stridents du rongeur qui se battaient. Puis soudain, tout fut calme. Quand le rat, à la fourrure maintenant cramoisie, sortit enfin des poubelles, je ne pus réprimer un haut le cœur.

Juste à ce moment, la porte s'ouvrit à nouveau et je sursautai. L'examinateur – dont le visage, maintenant, me rappelait vaguement le rat, avec son nez fin et sa moustache – invita le second candidat à entrer et lui serra la main. S'il vit la grimace de dégoût que celui-ci fit à son contact, il n'en laissa rien paraître, et ils disparurent ensemble dans le bureau.

J'étais maintenant seul dans ce couloir, qui me semblait de plus en plus inquiétant. Tout le reste de l'étage était parfaitement silencieux, et l'épaisseur de la vitre m'empêchait de percevoir les bruits de la rue. Aucun son non plus ne me parvenait de l'intérieur de la pièce. Je baillai violemment, me demandant si mes oreilles ne s'étaient pas bouchées. Mais non.

Quand je fus rassuré sur l'état de mes tympans, je réalisai quelque chose : où était passée la jeune femme ? La première candidate ? Je ne l'avais pas vu quitter le bureau. Il était vrai que je ne regardais pas dans cette direction et qu'elle avait pu sortir discrètement, mais j'en doutais. Elle était peut-être passée par une autre porte, donnant sur un autre couloir. Mon esprit, déjà bien inquiété par le mystérieux silence et la décrépitude générale du bâtiment, préféra mettre cette nouvelle énigme de côté. Je me plongeai dans un magazine en attendant mon tour.

J'espérais bien obtenir ce poste. Mes études avaient été un fiasco, et malgré mon diplôme, cela faisait maintenant trois ans que je naviguais entre l'intérim et les jobs en fast-foods. À vingt-quatre ans, je voulais m'installer enfin, avoir des perspectives d'avenir. Au moins, je n'avais pas brisé le cœur de mes parents, qui avaient péri dans un accident peu de temps après que je me sois inscrit à l'université. Ils étaient partis avec une bonne image de moi. Je n'avais personne dans ma vie, mais ce n'était pas une raison pour végéter plus longtemps. Un tel emploi était une vraie opportunité.

La porte s'ouvrit une troisième fois. Le candidat précédent n'était pas ressorti. L'examinateur m'accueillit et je réussis à éviter la poignée de main moite. Je pénétrai dans le bureau, qui semblait encore plus sombre depuis l'intérieur. Et pour cause : il n'y avait aucune fenêtre. Avec un simple candélabre pour l'éclairer, il était difficile de percer les ténèbres. Néanmoins, mes yeux s'habituèrent rapidement à l'obscurité et parcoururent la pièce.

Mon estomac se noua soudain. Une terreur sans nom m'envahit, dressant les cheveux sur ma nuque. La pièce, très petite, n'avait pas d'autre ouverture que la porte par laquelle j'étais entré. Je me tournai vers l'examinateur pour lui demander des explications. Debout devant la porte, bloquant donc la seule issue, il me souriait. La lumière des bougies projetait un éclat sur ses dents. Dieu, que ses canines étaient longues...

Quand il se jeta sur moi, j'eus à peine le temps de souffler. J'étais encore vivant quand il dévora ma chair, et je compris comment mes concurrents avaient disparu.

 

 

Claire Annovazzi



09/07/2013
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